|
Discussion avec Alec Séverin sur l’album « A Story of War », le 10 et 22 mai 2006
Copyright © A. Séverin et M. Deligne |
« A Story of War » est le premier album important réalisé en 1982 par Alec Séverin (publié en 1985 par Michel Deligne). Ces 150 pages, dessinées en 9 jours, ont contribué à la légende de cet illustre auteur. Nombre de ses fidèles lecteurs ont découvert son œuvre grâce à cet ouvrage. Parmi eux, Malo Kerfriden, qui le décrit de la plus belle des façons dans une interview :
« A la fin des années 80, j’ai acheté par hasard l’album « Story of war » paru chez Michel Deligne. A l‘époque, je découvrais Joe Kubert, Alex Toth, Bernet, Berny Wrighston etc… J’ai au départ pensé que ce récit était une réédition d’un comics d’histoire de guerre des années 50. Le relâchement, l’aisance et la spontanéité du dessin m’ont véritablement fasciné, ainsi que le ton de l’album (qui lui n’était pas du tout « années 50 »). Séverin a un ton extrêmement dur et désabusé dans ses premiers albums. Par la suite, je me suis procuré « Gratin » paru aussi chez Michel Deligne et « Lisette », publié chez Delcourt. Je me souviens aussi d’un article dans « Les cahiers de la bande dessinée »… Bref, j’ai compris ma méprise. »
(Source : http://oeuvreseverin.free.fr)
Ce petit album (au format A5), publié en noir et blanc, nous relate les aventures d’un Soldat engagé sous la bannière étoilée. A l’issue d’une période d’entraînement, il découvrira les horreurs de la guerre et refusera de porter une arme au Front. Ce récit qui aurait pu se réduire à la simple histoire d’un soldat en temps de guerre est accompagné d’une magnifique histoire d’amour et d’un hymne à l’acceptation des différences. Alec Séverin l’agrémente d’un trait d’une remarquable précision malgré la rapidité sans précédent avec laquelle il a réalisé cet ouvrage. Son découpage est vivant et il ose des formes de cases non conventionnelles. Côté dessins, il joue sur les palettes de gris et de noir afin de restituer aux mieux les différentes ambiances du récit. Chaque chapitre se distingue par une utilisation appropriée des « couleurs » à sa disposition. « A story of war » pose les jalons de ses futures publications en y insérant, non sans son humour habituel, des fausses publicités entre les différents chapitres. Dès 19 ans, il marque son entrée parmi les auteurs complets de bande-dessinées.
Cet album est accompagné de deux mini récits tout aussi passionnants que l’histoire principale. Ils sont durs, à l’image des histoires de guerre.
Afin de découvrir les entrailles de cette réalisation, nous avons posé quelques questions à Alec Séverin dont nous remercions encore la disponibilité pour ce site.
Parlons tout d’abord de la pré-réalisation de cet album. Comment en avez-vous conçu le scénario ?
Curieusement, tout cela, malgré son âge, est assez clair dans ma mémoire, je vais donc tâcher de vous faire vivre les choses telles que je les ai vécues à l’époque. J’avais presque 20 ans, m’étais loué un petit appartement à Oostende et venais de terminer mes 20 mois de service civil.
Parfois, avant de m’endormir, je me raconte des histoires en essayant de jouer (mentalement) tous les rôles des personnages qui y participent … je commence par imaginer un décor (ou un contexte) et une première phrase lancée par une personne … ensuite, le « petit théâtre » commence … j’essaie de trouver des dialogues les plus naturels possibles … et les idées viennent très rapidement … j’essaie de me faire rire … de me faire peur … si je sens que cela n’a plus beaucoup de sens, je retourne au dernier point intéressant et je reprends l’action à partir de celui-ci … Pour « Story of war », j’ai imaginé l’histoire complète en 3 ou 4 heures … le scénario était tout à fait établi dans un coin de ma mémoire … inutile de l’écrire, je le connaissais jusque dans le moindre détail.
Une fois le scénario réalisé, comment l’avez-vous découpé ?
Mentalement, le découpage est déjà également réalisé, plan par plan et quasiment case par case … Dès lors, le lendemain matin, j’ai démarré sur la 1ère image (qui n’est pas la première dans l’album, mais la première image qui se passe sur l’île … Je savais qu’il y aurait beaucoup de pages à venir, mais pas exactement combien, car je ne connaissais pas le nombre exact de cases … Je n’ai pas eu le courage de les compter mentalement une par une (mais j’aurai pu)… Bref, je ne faisais pas de « mise en page », je dessinais très vite les cases (et leur contenu) au crayon les unes après les autres de manière quasi-définitive …
J’ai dessiné ainsi durant tout le premier jour et la nuit suivante (j’étais jeune…). J’ai dormi quelques heures … et ainsi de suite … Ce qui fait qu’au bout de 3 jours, l’histoire était terminée au crayon. (Elle ne faisait pas 150 pages, mais était complète en + ou – 90 ou 100 pages). Je suis allé faire photocopier tous ces crayonnés … ensuite j’ai dormi quelques heures ... Après quoi, j’ai encré ces pages en 1 ou 2 jours …(avec de gros bouts de nuit) … Cela va vous paraître un peu curieux, mais pendant que j’encrais, je réfléchissais aux 2 autres petites histoires qui pourraient encadrer ce récit et je me les jouais mentalement, ce qui fait que, l’encrage fini, je me suis mis immédiatement sur le dessin de « la star » et de la troisième histoire (que j’avais déjà découpée mentalement à la case près) … pas mal des cases qui les constituent ont été directement dessinées à l’encre, sans crayonné, car l’échauffement des 5 jours précédents et le « style » utilisé (qui n’était pas très rigoureux) me le permettaient …
Les 2 historiettes étaient entièrement terminées à la fin du 6ème jour (à quelques heures près).
Comme la dernière était un peu plus sophistiquée, je me suis dit, avant de m’endormir, que je devais refaire des photocopies du grand récit et les passer au lavis … j’ai pensé à un prologue … (en forme de match d’entraînement de rugby …). Et le lendemain, je me suis attelé à mettre de l’encre diluée sur les cases … (des photocopies). Tâche terminée le soir du 7ème jour de travail. J’étais un peu fatigué mais je me suis mis au travail sur le prologue qui, techniquement, est un assemblage de dessins que j’ai griffonnés, encrés et collés sur des cases (un peu à la manière d’un puzzle). Le lendemain, je me suis effondré et j’ai dormi durant + ou – 10 heures … Vers quelle heure de l’après midi du 8ème jour ai-je relu le tout … ? Mais alors, la longue histoire me semblait manquer un peu d’épaisseur et je me suis dit que quelques grandes images permettraient de petits souffles d’air frais … Alors, j’ai fait des hors textes en quelques heures (je me rappelle que c’était un plaisir incroyable de les dessiner, le trait glissait tout seul, je découpais de la trame mécanique (grisée) et j’encrais autour, j’ai encore un peu allongé une séquence assez dure sans lavis … volontairement, pour rendre le côté âpre de la scène) … Je me suis endormi et, le 9ème jour, j’ai tout relu … Et, cela peut vous paraître idiot ou prétentieux, j’ai été très, très ému par le récit … je le connaissais très bien, mais il m’a semblé fort touchant (et par moment, j’ai même un peu pleuré … c’est nul, hein ?) … Comme j’étais un peu honteux d’avoir cette réaction, j’ai décidé de faire quelques fausses pubs délirantes au 2ème degré … Ce qui, je l’espérais, détendrait un peu l’atmosphère … Je suis allé dormir … l’ouvrage était terminé à la fin du 9ème jour. Le 10ème jour, mes planches sous le bras, je prenais le train pour me rendre à la convention de la BD à Paris. Je n’ai réalisé les couvertures définitives que lorsque Michel Deligne m’a proposé d’éditer l’album, bien plus tard.
Nos lecteurs ne pourront donc pas consulter sur ce site de travaux préparatoires …
Je n’ai qu’un petit bout de cerveau, qu’il faudrait m’extraire, à leur offrir. Des essais de couvertures existent, mais ils datent d’après la réalisation de l’album
Je reste sans voix en vous entendant décrire la réalisation de cet album qui me semble être un exploit !
L’exercice n’est pas vraiment un exploit car le dessin est plus proche de l’écriture et de l’ébauche que de l’illustration de BD classique.
Pouvez-vous juste nous préciser quel est le format des planches originales ?
Tout est réalisé au format A4 sur papier machine.
En avez-vous conservé ?
Je n’ai plus rien de cet album, quelqu’un doit posséder toutes les photocopies des crayonnés du grand récit (quand il était au stade initial, sans encrage, sans mise au lavis, sans hors-texte …). Les photocopies mises au lavis ont été offertes à une personne, et les originaux à l’encre de chine appartiennent à différentes personnes … et j’en suis très heureux, n’en ayant qu’un très beau souvenir en tête.
En relisant l’album, je me suis rendu compte que la numérotation des planches ne correspondait pas toujours à une numérotation linéaire, ont-elles toutes été publiées ?
Comme je vous l’ai expliqué, durant ces 9 jours, je suis revenu sur les récits, ai fait quelques ajouts, prologue, hors textes et j’avais une numérotation personnelle pour m’y retrouver, mais rien ne manque.
Abordons maintenant le récit. En 1982, nous sommes en pleine guerre des Malouines et d’invasion du Liban par Israël. Pourtant vous choisissez de faire référence plutôt à la guerre du Vietnam achevée 9 ans plus tôt. Pourquoi ?
… Mais c’est une guerre indéterminée … Ce n’est pas un épisode de la guerre du Vietnam … Les équipements, les avions et tout le reste, n’ont aucune réalité … Ce qui comptait, c’était un contexte écrasant, injuste, cruel dans lequel des gens pas très équilibrés, mais sincères, vivent quelques heures, tant bien que mal.
Au travers de ce récit, nous sentons qu’il y a un réel investissement personnel de votre part dans le caractère des personnages …
Je sortais de 20 mois de service civil au cours desquels je n’avais pas chômé, m’étant occupé d’enfants, 10 heures par jour, au sein d’une école primaire. Or, pas mal de mes copains à l’époque, avaient fait « leur petite guerre », durant 10 mois de service militaire … Ils étaient donc devenus de vrais hommes, eux.
Depuis mes 16 ans, toute ma courte vie jusqu’à « Story of war » n’avait été remplie que de la pratique du dessin … (les nuits durant mon service civil, je dessinais les aventures de Gratin), je trouvais les filles fort jolies, mais je n’en avais jamais réellement approché intimement, par peur de ne pouvoir donner mon cœur complet à celle que je rencontrerais un jour et qui accepterait alors de vivre toujours avec moi. (Je l’ai trouvée il y a dix-neuf ans …). Or pas mal de mes copains à l’époque avaient une toute autre conception des affaires du cœur.
… Bref, ayant essuyé quelques railleries, je me suis dis que la meilleure thérapie personnelle serait de voir comment un type simple et naïf (un peu comme moi) réagirait si on le fourrait d’office dans contexte ignoble … Heureusement, il y a Muriel … Elle est probablement plus intelligente et sensible que Peter, et elle est touchante. Si elle avait été trop belle physiquement, pourquoi se serait-elle sentie seule ? … Il fallait qu’elle soit l’objet d’un certain mépris de la part des « pin-up » du régiment … Je n’avais pas envie de la dessiner laide … je pensais en la dessinant, « elle est jolie et Peter la voit comme si elle avait ses deux yeux … les autres s’arrêtent à son handicap … Peter, il l’aime, et c’est tout …
Tout le monde s’acharne à gagner cette guerre dans un effort commun or, comme toutes les guerres humaines, elle est absolument inhumaine et inexcusable. Peter et Muriel le comprennent très vite … On ne se bat pas contre la guerre ; on est broyé dans un contexte pareil, et d’une manière tragique … cette guerre dure encore …
Si vous deviez réécrire ce récit aujourd’hui (presque 25 ans plus tard), l’aborderiez-vous de la même façon ?
Ce récit en image devait être fait à ce moment-là de ma vie … je ne l’ai plus lu depuis longtemps, mais il se trouve toujours dans ma mémoire case par case et il me touche. Je ne regrette qu’une chose, je me suis cru obligé de dévêtir la jeune femme à la fin de l’histoire, pour montrer qu’elle était intégralement belle, mais je pense que c’était un erreur, car en fait, Peter et Muriel sont l’un contre l’autre et ils se serrent, ils ne font que s’embrasser, c’est tout … Il n’y avait rien de sexuel dans mon esprit, et j’ai peur que certains l’aient mal interprété. Elle aurait pu garder ses vêtements, c’eût été probablement mieux.
Tout à l’heure vous nous parliez de la réalisation de la couverture …
Un clin d’œil aux comics qui a été réalisé beaucoup plus tard. Les projets étaient beaucoup plus intimistes et pas très joyeux …)
Dans l’album, vous avez intercalé quelques planches avec des dessins en pleines pages (même une double planche à un moment). Avez-vous voulu accentuer les transitions entre les phases du récit ?
C’est un peu cela … des bouffées d’air au sein d’un récit étouffant … je ne calculais pas vraiment … je sentais que je devais faire ceci ou cela à différents endroits … très précisément.
La double planche met en relief le personnage de Muriel. On sent que vous avez souhaité y accentuer la profondeur de son regard.
Je pense (parce que je n’ai plus cet album) que vous voulez parler des 2 « hors textes » qui se font face … Je désirais simplement que l’on ressente la frustration des 2 personnages et le fait qu’ils étaient seuls.
A certains moments, vous avez ajouté des fausses publicités. Pourquoi avez-vous coupé le récit de cette façon ? Vous semblez prendre un immense plaisir dans cet exercice qui est un peu votre marque de fabrique.
Cela permet à l’ouvrage de n’être pas trop pris au sérieux, j’avais un peu honte d’avoir été ému moi-même par mon récit (raconté lui au 1er degré).
Ces fausses publicités sont un plaisir qui est partagé par le lecteur. Je pense notamment à celle consacrée à « Superforme ».
Tant mieux … je ne sais pas trop quoi en penser … c’est un peu dans l’esprit de « Mad », non ?
Oui, il y a le même esprit de dérision. Vous finissez pourtant très durement le récit avec un enfant tueur ?
… Cette histoire est trop dure, elle me fait penser à un récit d’horreur du style « EC comics » … C’est une histoire qui n’a qu’un prétexte : l’opportunité de dessiner des planches à l’envers …
Terminons par l’édition de cet album. Avez-vous proposé l’album à d’autres éditeurs et comment se passe la recherche d’un éditeur pour un auteur débutant ?
Revenons donc à ce 10ème jour au cours duquel je m’étais imaginé rencontrer un éditeur à la « Convention de la BD » de Paris … A part les animateurs du magazine PLGPPUR (qu’on appelait encore fanzine à l’époque) et Olivier Schwartz (déjà très doué alors), je n’ai pas osé aborder grand monde … mais j’en ai un bon souvenir parce qu’ils étaient très gentils avec moi … Au stand Dargaud, au stand Audie et au stand Glénat, on m’a simplement dit de me rendre aux bureaux des différents éditeurs après la convention .. Je suis donc resté à Paris quelques jours de plus…
Nous étions fin 82 et à cette époque il n’y avait pas de manga à l’horizon, je n’aurai jamais osé présenter mon récit chez Casterman, car je désirais un petit format … par contre Dargaud avait édité la collection 16/22 (et je m’imaginais que … peut-être …). J’ai fait mon petit plan et me suis rendu aux éditions Jacques Glénat en premier lieu…
Ce fut monsieur H.F. qui me reçu très cordialement, mais quand il vit le paquet de planches qui constituait « Story of war », il s’empressa de me dire « qu’apporter un album complet ne se fait pas et qu’un dessinateur a besoin d’être guidé par l’éditeur qui a une optique éditoriale précise et puis … que l’on ne dessine pas sur du papier machine, que ça n’est pas professionnel et qu’ils allait me montrer une planche d’un vrai pro du métier, et il a sorti d’une farde une grande planche A2 (les miennes étaient ridiculement petites, mais bon, c’était pour faire un pocket …) sur laquelle des types marchaient à travers bois, les pieds dans la neige et les mains dans des moufles, il ne semblait pas y avoir beaucoup de vent, mais leurs visages étaient fort camouflés par des fourrures … Comme je n’étais pas convaincu par tant de talent, il a rangé la planche et m’a dit en regardant 2 ou 3 de mes pages, que comme je venais de Belgique, il aurait été préférable « que je dessine comme un belge » … Je n’ai pas compris tout de suite, vu que « Story of war » était un comic-book un peu tordu, il m’a donc expliqué que Hergé et Jacobs, c’était vraiment du belge et qu’adopter la ligne claire était pour moi la solution pour « dessiner comme un belge » … Alors, moi le naïf, je lui ai dit que Geo Mc Manus avait influencé Hergé et qu’Alex Raymond avait du certainement beaucoup plaire à Jacobs et que j’aimais bien Joe Kubert et … Monsieur H.F. m’a regardé très curieusement et paternellement, il ma dit : « Ecoute, si tu veux vraiment percer dans ce métier, il faut faire des choses qui se vendent, tu me mets quelques belles nanas en bikini dans une décapotable et au volant un playboy et ça, ça va marcher ! … Mais, par pitié, arrête de dessiner des personnages pas très beaux et vraiment trop tristes ».
Nous nous sommes salués très poliment, mais je n’étais pas très fier de la tournure des événements … ayant vraiment l’impression d’avoir dérangé pour rien un monsieur très gentil mais fort occupé.
Je me suis rendu chez « Fluide Glacial », mais il y avait un panneau qui disait qu’il fallait laisser les planches et que quelqu’un les regarderait plus tard … mais alors, qu’est-ce que j’aurais à montrer chez Dargaud, moi ?
Gros bâtiment chez Dargaud ! Je me suis un peu perdu et après avoir frappé à une porte à je ne sais quel étage, j’ai rencontré 2 jeunes types qui m’ont expliqué qu’à cause de la convention, c’était encore un peu le bazar et qu’il n’y avait pas grand monde … Il y en a un qui a regardé l’autre, lui a fait un sourire en coin et puis il m’a dit : « mais on peut toujours te donner notre avis » … J’aurais du me méfier, parce que je me suis fait descendre au bazooka à bout portant pendant de longues et pénibles minutes … mais bon, en sortant de chez ces 2 grands critiques, le cœur serré, j’ai tenté de me remonter le moral en me disant que j’avais donné l’occasion de se marrer à deux braves garçons qui s’ennuyaient très certainement avant mon arrivée inattendue … et que ça leur ferait de bons souvenirs à raconter plus tard aux absents de ce jour-là.
Le lendemain, avant de prendre le train, je me suis souvenu que, bon sang de bonsoir, il y avait un éditeur de pockets du nom d’Elvifrance qui serait peut-être intéressé... et, après avoir compulsé un annuaire téléphonique, je me suis mis en route … mais au fur et à mesure que j’approchais du but, je me disais : « hum, ces gens éditent des pockets forts différents de ce que je vais leur présenter là » …et en arrivant enfin, j’ai hésité à pousser la porte ,,, mais je suis tout de même entré et je me rappelle d’une très jolie dame, vraiment charmante, qui m’a accueilli et m’a présenté à monsieur Bielek. J’ai le souvenir d’un authentique professionnel, il a pris une heure de son temps pour lire « Story of war », il m’a montré des peintures de Buzzeli et d’autres artistes, m’a dit qu’il aimait mon histoire et que le dessin était intelligent, qu’il voulait bien m’embaucher, parce qu’il avait besoin de bons scénarios, mais qu’il se rendait compte que si je lui présentais cette histoire, c’est que je n’avais pas l’intention de travailler dans « l’esprit » Elvifrance …
Je lui ai dit qu’effectivement ce n’était pas la cas, mais que nulle part, je n’avais reçu un accueil aussi chaleureux … il admirait comme moi Victor de la Fuente (avec lequel il avait travaillé sur Mortimer … un western) … Quand j’ai repris le train, j’étais regonflé à bloc, parce qu’il m’avait également dit qu’il pensait que l’ossature de mon dessin était bien en place et que je ne tarderais pas à construire dessus un style bien à moi … comme quoi, on pouvait très bien travailler chez Elvifrance et être un gentilhomme. Ce jour-là, j’ai appris qu’Elvifrance appartenait à Hachette, je ne sais plus pourquoi mais ça m’a fait rire …
Finalement, Michel Deligne a édité l'album 3 ans après ...
Michel Deligne m'avait déjà acheté les droits du premier album de Gratin à l'époque, et je pense que je lui ai expliqué mes quelques déboires parisiens ...
Comme c'est un "homme de coeur", il a édité "Story of War" (J'ai été payé 50 000 Francs Belges pour mon travail) ...
C'est le frère de Jean-Claude de la Royère, "Charlie", qui s'est occupé de la photogravure ...
La grosse trame nous plaisait bien mais nous aurions du relettrer les pages au lavis pour que les phylactères soient plus lisibles, c'était également l'avis de Michel Deligne ...
Il faut se rappeler que le scannage des documents n'existait pas encore et qu'un seul film coûtait alors très cher, or, il nous aurait fallu deux expositions différentes pour obtenir un trait bien noir et le lavis d'encre de Chine diluée. Mais l'album possède un certain charme grâce à cet aspect "cheap".
Il y a eu deux tirages en peu de temps ...
Michel Deligne pourra certainement mieux vous renseigner que moi à ce sujet. Je sais seulement qu'il désirait "inonder de Story of war" le marché, et que le distributeur parisien de l'époque ("Le (ou les) maître du monde") n'en a pas voulu au départ alors que l'album était déjà imprimé ! (l'objet hors normes lui faisait très peur).
Puis, Michel et moi sommes allés le voir et les choses se sont arrangées. De plus, nous avons eu un bel article dans "les cahiers de la Bande Dessinée" et l'album fut durant une ou deux semaines placé numéro un à un hit-parade.
Il y a bien eu deux tirages légèrement différents ... la couverture la plus bleue est celle du premier tirage. Les éditions Michel Deligne ont même fait imprimer des affiches publicitaires pour cet album (Affiche étroite et très haute ... très bon souvenir ...)
Depuis vous éditez vos albums, quel regard portez vous sur l'album, le referiez vous de la même façon ?
"Story of war" a été édité, avec le recul, comme il fallait qu'il le soit. Avec ses imperfections, comme tout album, mais de la manière la plus populaire possible ...
Si nous faisions, prochainement, une version néerlandaise, la maquette serait différente mais pas plus luxueuse.
(Les changements seraient plutôt effectués au niveau de certains dessins et de la clôture de l'histoire).
Vous arrive-t-il de dédicacer régulièrement cet album ?
Oui, on me le présente encore dans les séances de dédicaces ... Le verso des couvertures n'est pas très adéquat pour y faire un dessin au crayon, mais au bic, c'est ok ...
D'habitude on me demande Peter ou Muriel ... Alors, avec plaisir, je me mets à la tâche.
Propos d'Alec Séverin, sur des questions d'Alban Jarry (un grand merci à Colin pour sa retransciption et à Coacho pour ses relectures).
|
|